lundi 24 janvier 2011

Le portrait du peintre



Disons que je montre mes toiles dans une exposition collective où je ne connais personne. La galerie est bourrée de monde. On a peine à circuler, à voir les œuvres et à reconnaître les artistes. Habituellement, ce sont ceux qui sont le moins bien habillés. Comme moi. Tout de même, ce soir, j’ai fait un effort et j’ai opté pour le décolleté, à défaut d’avoir mieux à montrer que moi-même, ou mon œuvre. Mais il y en a un pour qui les stratégies de l’apparence n’ont aucune importance. Et j’ai nommé : le robineux de service. Celui qui se glisse en douce dans tous les vernissages pour profiter du vin d’honneur et dîner au buffet. Il m’énerve! Il pue et personne n’ose le foutre dehors au cas où ce serait vraiment un artiste. Il ne parle à personne : the artist’s attitude!

Je vais aller lui parler moi.

-Alors, c’est de vous ces toiles? Dis-je en lui montrant MES toiles juste pour le confondre.
Comble de l’insulte, il me répond que oui, avec un petit air entendu.

Mais pourquoi est-ce que je m’occupe de ce type-là? J’ai l’impression que ça va mal finir pour moi. Je n’ai pas envie d’engager la conversation avec l’itinérant. Mais c’est trop tard. On m’a vu lui causer. Ce qui signifie que si je lui parle à lui, je peux parler avec n’importe qui et, par extension, être intéressée par la conversation : Shit!



Voilà l’autre qui s’est approprié mes toiles pour disserter sur mes œuvres comme si elles étaient les siennes. Bla bla bla à propos de l’intention, de la forme et de je me câlisse complètement du fond. Le tout semblait se diriger vers une soirée ennuyante jusqu’à ce qu’on me demande ce que j’avais fait, moi.

-Ben… exactement ce que l’autre prétend avoir fait. C’est moi Adeline.

Mais figurez-vous que non, ce n’est pas moi. Adeline, c’est le pseudonyme de jeunesse de ce vieil artiste dans la rue qui produit des toiles avec ce qu’il trouve. C’était le nom de sa petite sœur, qui est morte très jeune parce que la vie est donc dure, on crève de faim, il fait froid et plein d’autres trucs sordides qui font que cet homme est une pauvre victime malheureuse, pitoyable et il faut l’aider, il faut être à genoux devant le talent qu’il déploie malgré tout. Quant à moi, je ne suis qu’une petite jeune trop éduquée, trop jolie pour avoir du talent et travailler fort.
Bien vite, c’est moi qu’on va flanquer à la rue.

Ça ne m’est jamais arrivé, mais parfois j’ai l’impression que si j’étais un vieil homme barbu, j’aurais plus de crédibilité en tant que peintre.

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