mardi 18 janvier 2011
Loto-critique
Je suis en vacance dans un chalet en forêt avec des amis. Une fille me demande ce que je pense de ce qu’elle fait en dessin et en BD. Je n’ai pas envie de lui donner mon avis et lui demande pourquoi elle veut savoir ça. Elle dit que j’ai une bonne scolarité, de l’expérience et beaucoup d’estime de la part de mes contemporains. J’hésite. Elle veut absolument que je sois franche et je ne veux pas. Parce que je suis très exigeante et c’est assez rare qu’une œuvre me jette à terre, donc je ne suis jamais honnête dans mes critiques. Mais bon, ça a l’air d’être vraiment important pour elle alors je m’exécute.
Je lui dis que son illustration commerciale n’est pas assez maîtrisée ni consistante pour qu’elle puisse espérer en vivre. Et que son travail personnel est trop insipide pour lui survivre. Il faut en avoir bavé plus que ça pour pondre quelque chose d’intéressant. Et je rajoute que ça n’existe pas les bédéistes mondialement célèbres à 20 ans. Il y en a, c’est sûr, mais ce n’est pas nécessairement un exemple à suivre. Ils font ce qu’ils font, toi, tu fais autre chose. Travaille très fort et, dans dix ans, quand tu auras mon âge, tu feras peut-être quelque chose d’intéressant.
Alors la jeune fille est très triste. Elle pleure et elle me demande qui je suis pour dire ça. Je réponds que c'est ce qu'elle voulait: j’ai une maîtrise, de l’expérience et un statut professionnel. Tous ses amis se liguent contre moi. Ils m’accusent d’être prétentieuse et orgueilleuse. Ils commencent à me lancer des chiffons et à me donner des coups d’oreillers. Ça dégénère dans une grande mêlée de plume et d’édredons qui volent jusqu’au plafond. Et ils finissent tous par aller s’amonceler dans un coin du lit pour se cacher dans des gros toutous ronds pleins de couleurs jusqu’à faire un beau monticule de peluche.
Le mari de la fille que j’ai insultée vient me voir pour me chicaner. Et quand je lui dis que sa femme n’a eu que ce qu’elle voulait, il me trouve vraiment méchante. J’aurais donc dû lui mentir à cette fille et lui dire que ce qu’elle fait c’est « bien » (donc magistralement ordinaire). Un peu découragée par tout ça, je sors du chalet.
Et alors je vois quelque chose d’extraordinaire. La mer s’est retirée et une vague gigantesque domine tout. Je suis bien davantage impressionnée qu’effrayée. La vague est d’un bleu clair ahurissant. Une eau plus pure que le cristal recouvre le ciel éclatant. Vite! Je grimpe le long d’un mât pointu comme une aiguille. Et je m’agrippe fort fort fort. Je prends mon souffle, la vague passe une fois, et je reste. J’inspire encore, la vague reflue. Et elle revient encore, et encore, et encore… Entre chaque passage, je respire et je garde mon air. Jusqu’à ce que ce soit fini.
La mer s’est retirée. Il ne reste que du sable et des débris d’habitation. Plein de poissons et d’algues s’accrochent aux arbres comme des cheveux, des méduses gigantesques sont collées sur le ventre des édifices, des étoiles de mer et des poulpes. Mais le pire, ce sont les ophiures géantes dont les bras sont des serpents corail. Même quand leurs tentacules sont arrachés, ils peuvent encore mordre. Elles se cachent et me poursuivent. Mais ce jeu ne peut pas durer éternellement car elles doivent bien vite rentrer sous la terre, sinon elles vont sécher. Le sable est recouvert de marques spiralées et toutes entortillées à l’endroit où elles se sont enfouies. C’est magnifique.
Il n’y a plus personne, sauf moi, et des petites enfants. Je revois soudain le mari de la fille insultée. Nous nous promenons dans la ville détruite. Il me montre les belles nouvelles bottes de cow-boy que son fils lui a achetées. Moi je suis en sandales. J’étais pieds nus pour grimper sur le mât. Je trouve que ça doit être plus confortable de se promener avec des bottes dans le sable mouillé. Mais ses bottes n’ont l’air ni confortables, ni pratiques. Elles sont en cuir végétal, tout rigide, beige clair et magenta éclatant, avec des roses sculptées. Il dit que ses bottes ont une bague au gros orteil et que c’est exactement ce qu’il lui fallait car ses anciennes bottes avaient le gros orteil défoncé. Il est très fier de son fils.
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