lundi 7 mars 2011

Le délire d’un carnet sans esquisse



Un élève lit dans ma classe pendant que je parle. Ça me dérange. Je n’ai pas envie de le punir. Je n’ai pas envie d’être ici et eux non plus. Je me demande toujours de quel droit j’enseigne. Et qu’est-ce que j’enseigne? Ils me regardent et ils m’écoutent, pour apprendre. Donc je parle.

Il me distrait, l’élève qui lit. Ses yeux son baissés sur son nez qui tombe vers son bureau. Son livre est posé sur ses genoux. Il lève la tête et il me regarde, car je ne dis plus rien. Tous les élèves me regardent. Je dois faire quelque chose.

-Viens poser le livre sur mon bureau!
L’élève se lève et marche jusqu’au bureau, en haut de la tribune.
Je continue le cours.

Et le livre disparaît.
Je me suis tournée pour écrire au tableau, plusieurs fois. Ça m’aura prit un moment avant de le remarquer.
Le livre n’est plus là.

-Tu as repris ton livre?
L’élève fait ''non'' de la tête.
-Quelqu’un a reprit le livre?
La cloche sonne mais personne ne bouge.
-Vous ne sortirez pas de la classe tant que le livre ne sera pas revenu sur mon bureau.

Et je me tourne dos à eux, je corrige des copies. J’entends un soupir. Un élève commence à pleurer. J’attends. J’attends longtemps. Les élèvent sanglotent. Le livre n’est pas de retour.
Ça fait seulement 5 minutes.

Je vais ouvrir la porte de la classe et je leur dis ''à demain''!
Ils s’en vont tous sans me jeter un regard. Je prends mon sac, j’éteins et je quitte moi aussi.
Je suis chez moi.
Je sors les copies de mon sac. Et je sors le livre.

Qu’est-ce qu’il fait là?
C’est un livre brun, à couverture de cuir. Il n’y a pas de titre sur le dos de la reliure ni sur la couverture. Il n’y a rien, pas de dessin. La tranche est blanche. Je le dépose devant moi.

Est-ce que j’ai pris le livre moi-même pour le mettre dans ma sacoche devant tous les élèves de ma classe? Est-ce que j’aurais fais ça sans m’en rendre compte?

Le lendemain, en classe, l’élève est absent. C’est le seul absent. Et quand je demande aux autres s’ils savent pourquoi, ils secouent la tête. J’aurais voulu lui rendre le livre. J’aurais dû aller chez lui, ce soir-là, pour lui rapporter son livre. Mais je ne l’ai pas fais. J’ai attendu toute la journée pour l’ouvrir. Et là, rendu chez moi, je ne le trouve plus. Il n’est pas dans ma sacoche. Et je sais que personne n’a fouillé dedans puisque j’ai tourné autour toute la journée.

Le lendemain encore, le petit garçon est revenu en classe.
-Est-ce que tu as pu récupérer ton livre?
Il dit oui.
Je n’ai jamais su ce qu’il y avait dans son livre.

C’est une autre mésaventure que je n’ai jamais vécue.
Comme celles qu’on voudrait oublier, ou qui arrivent à plein de gens qui se taisent.
J’imagine parfois qu’elles seraient écrites dans un livre perpétuellement à lire.
Et que si ce livre n’existait pas, nous non plus.

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