lundi 19 mai 2014

Ils sont guidés par la mauvaise tête

C'était supposément un portrait de Gertrude dans Gormenghast


Je suis sur un bateau où a lieu un combat naval contre un autre bâtiment. Pour faire fonctionner les canons il faut les sortir complètement du bateau sur des planchettes de bois comme des plongeons. Et  ce sont des petits garçons qui arment les artilleries. Un enfant grimpe sur le canon après chaque coup et il le nettoie et l’enfourchant comme un cheval. Il doit y gratter une grosse couche de calcaire qui s’y dépose tout le temps. C’est lui le timonier (dans mon rêve, c’est ainsi qu’on l’appelle). C’est lui aussi qui met le boulet. Mais cette fois-ci, il ne va pas le rentrer au fond de la bouche du mortier. Il le dépose en avant, sur une sorte de manche en forme de grosse spatule qui sort de l’orifice. Et ce n’est pas un boulet mais un casque d’armure aveugle à la visière refermée. Et quand il arme le canon, le petit garçon devient tout pâle, son visage comme un crâne et il tombe, inerte. 

Le boulet n’est pas projeté mais il flotte, luminescent et silencieux comme un fantôme, jusqu’au bateau voisin. Une tête de squelette apparaît dans une transparence spectrale sur le boulet qui est un heaume. Il plane au dessus du galion en illuminant les voiles de symboles Haïdas, et tout l’équipage meurt, comme irradié. La mère du jeune garçon, elle porte une robe amérindienne en cuir avec des franges, va sur la plateforme du canon ramasser son enfant. Une tête de femme rousse échevelée flotte au dessus de notre bateau, c’est une goule et c’est tout ce qui reste de l’ennemie, qui sont des voleurs de corps. Ils volaient des corps d’enfant pour en faire le trafic et les mettre sur des têtes de goules qui n’ont plus de corps.

La petite sœur du garçon timonier n’a plus de corps elle non plus. Je les mets tous les deux dans le panier de mon vélo pour les amener. Mais mon vélo pédale tous seul, avec la tête de sorcière qui le suit en volant. Ils disparaissent et je sais qu’ils sont guidés par la mauvaise tête, j’ai peur qu’il ne leur arrive malheur alors je cours à leur poursuite.

J’arrive dans un village arabe au milieu du désert. La tête a échouée sur l’auvent tout blanc d’un petit café, les cheveux de la sorcière  emmêlés dans les tas de branches que le vent y a déposés. Elle est prisonnière. Des hommes entièrement vêtus de blanc, avec tunique, sandale et une petite calotte au sommet de la tête boivent le thé sur la terrasse, à l’ombre, comme on le conçoit d’une terrasse de café dans le milieu du désert. J’entre dans l'établissement, qui est vide. Il n’y a personne, même pas de meuble. Tout est en bois lambrissé et vernis. 

Le petit garçon est là, tout seul, debout, immobile devant la pénombre d’un couloir. Il porte un masque en forme de tête de poupée gris. Je cours vers lui, inquiète et je lui retire le gros masque boursouflé. Et j’ai des frissons de terreur car en dessous il porte un autre masque de papier mâché fait avec des journaux et en forme de crâne. Je le retire et en dessous le petit garçon est vivant, il me sourit alors je le sers très fort dans mes bras. Il me dit que ce n’est pas la goule qui les a conduits jusqu’ici mais un sage qui est venu les chercher et qui retient maintenant la sorcière prisonnière. 

La petite fille arrive elle aussi mais elle a maintenant un tronc, deux bras et des jambes. Un instant, je crains que ce ne soit l’œuvre des voleurs de corps. Mais le petit garçon me dit que c’est le sage qui lui a donné vie. Je soulève la chemise de la fillette. Bien que certaines parties de sa peau soit tout à fait humaine, il y a des traces d’argile sèche sur le devant de sa poitrine laissant apparaître des inscriptions magiques gravées, comme sur un golem. Je suis soulagée. Je ne vois pas le sage mais le petit garçon m’explique que je devrai sculpter la petite fille à chaque année car elle va grandir. Je commence à me pratiquer tout de suite car je veux donner une silhouette parfaite à la petite fille. On me donne un volume dont je dois recopier les formules pour les graver dans ma sculpture. Je vais les recopier dans mon cahier de rêve et quand je les trace à la plume, mon écriture est dorée et aussi brillante que des feuilles d’or.

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